D’où viendront nos aliments

Sunita Narain, agosto 2010

Noutras línguas: English

Vijay Jawandhia est un agriculteur du Vidarbha, région symbolique de la crise qui pousse les paysans à se suicider.

C’est aussi un leader paysan. Récemment il évoquait de nouveaux défis : « Dans mon village nous louons des véhicules afin de faire venir des gens des villes pour travailler dans les champs. » Cela peut sembler étrange, pourtant des récits identiques suggèrent une tendance similaire à travers les régions agricoles.

Que cela signifie-t-il pour la sécurité alimentaire ? La pénurie de main d’œuvre est en partie liée aux salaires que les agriculteurs peuvent offrir. C’est pour cette raison que le Programme National de Garantie de l’Empoi Rural a souvent été accusé de priver les exploitations agricoles de leurs travailleurs agricoles. Mais ce Programme offre un salaire au mieux de subsistance pour un travail ardu qui consiste à creuser des étangs et casser des pierres. Il représente néanmoins une alternative pour les travailleurs agricoles dont le pouvoir de négociation sur les salaires se trouve ainsi renforcé.

De plus, si les infrastructures (bassins, barrages, structures de conservation du sol, routes) prévues par le Programme sont en effet réalisées, elles amélioreront la productivité et les revenus agricoles. La mauvaise qualité des équipements ruraux est due quant à elle au fait que le Programme se concentre sur les emplois et non sur le travail réalisé.

Les causes de la pénurie croissante de main d’œuvre agricole ne sont pas bien connues mais ses conséquences sont évidentes : le coût du travail agricole sera plus élevé. Comme vous le diront les économistes du marché, ceci est une bonne nouvelle car les revenus et le pouvoir d’achat des plus pauvres du pays augmenteront. Avec la hausse du prix des autres intrants, comme les semences, les engrais et l’eau, les salaires plus élevés rendront plus coûteuse la production alimentaire. Les économistes du marché vous diront aussi que cela mettra plus d’argent dans les mains des pauvres agriculteurs, eux-mêmes consommateurs de produits alimentaires. Donc tout le monde deviendra plus riche.

Mais cette logique soulève tout de même quelques questions.

La grande majorité de l’agriculture indienne, plus de 60%, est pluviale. Les agriculteurs n’ont d’autre choix que de dépendre de pluies de plus en plus irrégulières. Ils cultivent pour leur propre subsistance ; leur existence même est en danger. Une mauvaise pluie ou des inondations peuvent les jeter dans la spirale infernale de la pauvreté et de la destitution. Ils ne peuvent pas se permettre d’acheter des aliments coûteux.

Il n’y a donc pas de solution miracle. Il est temps que les décideurs politiques reconnaissent deux faits importants. Premièrement que faire pousser des aliments va coûter de l’argent et deuxièmement que nous ne pouvons pas nous permettre des techniques agricoles coûteuses. Si le monde occidental a inondé le marché alimentaire ce n’est pas parce que ses techniques agricoles sont plus productives ou que ses agriculteurs détiennent plus de savoirs, mais parce que leurs gouvernements ont versé des sommes obscènes sous forme de subventions pour garantir les coûts de production alimentaire. L’Union Européenne verse 51 milliards de dollars chaque année à ses agriculteurs pour les maintenir sur le marché. Les producteurs de sucre européens, dont notre gouvernement importe souvent les produits, sont payés quatre fois le prix du marché mondial. Le surplus est alors vendu à perte sur le marché mondial grâce à une subvention supplémentaire à l’exportation d’un milliard de dollars, ce qui fait chuter les cours mondiaux. La situation dans les exploitations américaines dirigées par les entreprises est comparable.

En Inde, la politique agricole devrait viser à augmenter le prix de soutien minimal afin que les agriculteurs soient payés pour les coûts qu’ils supportent. Aujourd’hui les agriculteurs investissent de fortes sommes de leur capital privé dans la construction des infrastructures pour leurs activités, contrairement à n’importe quelle industrie ou entreprise privée. Ils financent la construction des installations d’irrigation (plus de la moitié des terres irriguées l’est par les nappes phréatiques). Près de 19 millions de puits et pompes ont été construits avec des fonds privés. Ces coûts devraient aussi être pris en compte dans la facture alimentaire.

Mais jusqu’à présent la politique a dû choisir entre la peste et le choléra. D’un côté les agriculteurs pauvres qui ont besoin d’être payés pour produire des aliments. De l’autre la multitude (dont des agriculteurs) de ceux qui n’ont pas les moyens de payer le prix de ces aliments. Pour le moment, la politique agricole a consisté à subventionner les produits alimentaires, non à payer les agriculteurs. Le système de distribution public est conçu pour acheter de grandes quantités de céréales et les redistribuer à la population. Il repose sur le maintien du coût de ces provisions à un niveau aussi bas que possible. En réalité, c’est ça le « prix de soutien minimal ».

Mais cela ne pourra plus fonctionner dans l’avenir. L’Inde devra élaborer des politiques pour payer les agriculteurs au prix du coût réel de la production alimentaire et les payer directement. Cela signifie de revoir le système de subvention d’engrais qui verse l’argent aux entreprises pour qu’elles produisent des engrais et non aux agriculteurs qui les achètent. L’accès de la majorité de la population à des aliments bon marché est un défi qui reste à relever. C’est pourquoi les politiques doivent reconnaître le besoin de faire aussi baisser le coût de la production alimentaire. Nous avons l’obsession de la productivité des cultures sans voir que l’agriculture à haut rendement est fondée sur un seul principe : les coûts élevés de production. Cela peut fonctionner dans un contexte où les consommateurs sont suffisamment aisés pour en payer le prix ou si les gouvernements sont suffisamment riches pour subventionner les agriculteurs. Ce n’est pas le cas en Inde.

L’Inde doit trouver des manières de valoriser une agriculture avec de faibles intrants mais aussi avec de relativement faibles rendements. C’est là que la politique doit innover. Nous devons investir plus de temps dans la petite agriculture. Cela signifie de mieux développer les bassins versants afin de recharger les nappes phréatiques et de décentraliser la récolte de l’eau pour améliorer l’irrigation. Cela signifie aussi de meilleures semences et l’approvisionnement des programmes de distribution alimentaire en aliments produits localement à bas prix. Cela permettra d’assurer l’auto-suffisance alimentaire locale.

Voilà les étapes pour changer la donne. Suivons-les pour une fois.

Source

Sunita NARAIN, « From where our food will come », in Down To Earth, 31 août 2010

Fontes :

D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html