De retour dans nos montagnes

Comment les communautés indigènes ont récupéré leurs terres dans les hauts-plateaux du Zimbabwe après l’indépendance de ce pays, et comment ils se sont organisé pour gérer leur terre de manière soutenable, restauré des techniques ancestrales et développé une économie locale

Laura ARNALTE, ottobre 2006

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La difficile question de la terre dans un Zimbabwe nouvellement indépendant

Le Zimbabwe est un pays enclavé du Sud de l’Afrique, avec une population de presque 13 millions de personnes, dont 70% sous le seuil de pauvreté. Son histoire récente a été fortement influencée par la période coloniale, laquelle a entraîné d’immenses disparités en termes de répartition de la richesse et de la terre. Les colons blancs, soutenus par le gouvernement colonial, se sont approprié de larges zones de terres fertiles, forçant les populations locales à se déplacer vers des terres marginales. La guerre d’indépendance, aussi appelée la seconde Chimurenga, de 1971 à 1979, amena l’indépendance du pays en 1980. Les premières mesures de redistribution des terres étaient destinés aux vétérans de cette guerre et concernaient des domaines abandonnés par les colons blancs après la guerre. Le processus de réforme agraire s’est ensuite poursuivi, culminant dans la très controversée réforme de 2000, qui a entraîné le pays dans une crise sociale et économique.

Le cas des montagnes Chimanimani, dans les hauts-plateaux orientaux du pays, et plus particulièrement celui du Nyahode Union Learning Centre (Centre d’apprentissage de l’union de Nyahode), est un exemple de redistribution des terres opérée immédiatement après l’indépendance. Il est intéressant d’observer l’évolution de cette organisation depuis lors, en réponse aux différentes contraintes auxquelles les communautés locales ont dû faire face au cours du temps.

Shylet Muchayi travaille en tant que formateur en agriculture soutenable et en permaculture au sein du programme de permaculture que le Learning Centre développe avec des petits paysans, comme partie intégrante de son objectif général : développer des économies locales soutenables dans les régions de montagne.

Retour à la terre et au territoire

Durant la période coloniale, la plupart des zones fertiles et bien pourvues en eau des hauts-plateaux de Chimanimani furent acquises par des colons blancs, qui forcèrent les populations locales à quitter leurs terres traditionnelles pour des terres plus sèches et moins fertiles, lesquelles étaient par ailleurs souvent déjà surpeuplées. Ces populations se trouvèrent ainsi dépossédées de leurs sources de subsistance et de leur dignité.

Au début des années 80, après l’indépendance, d’anciens travailleurs agricoles, des guérilleros démobilisés et des personnes issues des familles qui avaient été initialement évincées de la vallée du Nyahode, dans le piémont des Chimanimani, commencèrent à s’y réinstaller. Cette vallée était devenue « zone libérée » durant la guerre, étant donné que les colons blancs étaient soit partis, soit morts, laissant derrière eux leurs exploitations commerciales. En 1985, le gouvernement promulgua le Schéma de réoccupation des terres de la Vallée du Nyahode.

Construire une économie de montagne

Avant l’indépendance, l’agriculture traditionnelle pratiquée par les peuples de montagne indigènes (« agriculture de montagne ») était confinée à l’Aire communale Chikukwa, une petite portion de terre où le peuple Chikukwa avait été concentré après son déplacement, ainsi qu’aux populations de la Vallée du Rusitu, qui était trop isolée pour les colons. Dans ces régions, un vestige de leur mode de production paysan traditionnel fut maintenu en vie avec succès, bien que victime de la surpopulation et du stress écologique.

L’agriculture de montagne dans cette zone est caractérisée par la difficulté à travailler la terre dans un environnement sensible du point de vue écologique. Mais, en même temps, ces terres bien arrosées par la pluie offrent des conditions agroécologiques potentiellement productives en termes de disponibilité de l’eau, de sols alluviaux fertiles et de maintien de la forêt indigène.

Les principales priorités des gens qui se sont réinstallé dans la vallée étaient de rétablir leurs systèmes traditionnels d’agriculture de montagne à petite échelle, et de bénéficier de l’éducation et de la formation nécessaires pour y parvenir. À cette fin, neuf « coopératives collectives » furent créées dans la vallée, reprenant les infrastructures des anciennes fermes coloniales, restaurant les moulins et les terres de pâture, labourant les terres, établissant des pépinières d’arbres, des vergers et des porcheries. Le but était de reconstruire une économie locale forte basée sur l’agriculture de montagne. Les coopératives furent enregistrées officiellement et formèrent ensemble le Syndicat du district du Nyahode.

L’éducation, un outil essentiel pour le développement

Parallèlement à leur besoin de s’organiser pour la production et l’activité économique, les communautés réinstallées avaient besoin de services éducatifs pour l’alphabétisation des adultes, ainsi que pour la formation à l’agriculture et à la gestion des coopératives. Pour ce faire fut créé en 1985 le Nyahode Union Learning Centre (NULC), en tant qu’organisation communautaire. Aujourd’hui, ce Centre est devenue un Collège technique communautaire associé à une école secondaire, qui se consacre à des disciplines techniques comme l’agriculture, la mécanique, les technologies de l’habillement, la construction et la charpenterie.

À partir de 1990, l’implication du NULC dans l’« agriculture de montagne » s’est effectuée sur la base de la méthodologie de la permaculture, car celle-ci permet aux petits paysans, particulièrement dans des zones de montagne où la terre est limitée et le terrain irrégulier, de concevoir leur aire disponible avec suffisamment de précision. La permaculture est une pratique consistant à intégrer et connecter les ressources indigènes avec la technologie appropriée disponible dans des systèmes productifs divers qui miment les processus écologiques naturels. Cette approche permet aux paysans de maximiser la productivité en rapport avec les écologies locales, en utilisant des techniques de formation participatives pour incorporer le savoir dans les communautés. Cette approche est bien acceptée par les Zimbabwéens indigènes, dans la mesure où elle va de pair avec la réaffirmation de nombreuses pratiques traditionnelles relatives à la terre et au soin des animaux.

Suivant cette méthodologie, le NULC facilita la création de « clubs de permaculture » parmi les paysans et les membres des coopératives de la vallée. Ces clubs sont devenus la première association de paysans organisée autour de l’agriculture soutenable, qui est appelée « association des petits paysans de Ruzivo » (Ruzivo Smallholder Farmers Association, RSFA), et à laquelle le Centre dispense des conseils techniques et managériaux.

Engager les paysans dans la transformation agroalimentaire et la sauvegarde de la biodiversité alimentaire traditionnelle

Le NULC fournit une assistance technique et des services à l’association, et développe en permanence de nouveaux projets pour répondre aux problèmes rencontrés par les paysans alors qu’ils poursuivent leurs objectifs de long terme dans la vallée.

Récemment, le NULC a commencé à fournir des formations et des équipements pour la transformation alimentaire. Les paysans avaient des difficultés à vendre localement leur surplus de production maraîchère et devaient avoir recours à des intermédiaires qui se rendaient dans la région pour acheter ces surplus à très bas prix, en raison de la mauvaise qualité des infrastructures routières qui faisait enfler les coûts de transport, limitait l’accès aux marchés extérieurs ainsi que la connaissance de leurs mécanismes et de leurs prix. Dorénavant, disposant d’ateliers de transformation et de compétences sur place, les paysans sont capables de transformer leurs diverses productions en confitures, marmelades, beurre de cacahuète, sirops, gâteaux, fruits secs, etc. Ce projet a permis de faire passer de nombreux paysans de la pauvreté à l’autosuffisance économique, en leur fournissant des aliments et des revenus additionnels, qui souvent suffisent à faire la différence entre pouvoir envoyer ses enfants à l’école ou pas, ou pouvoir acheter des habits.

Un autre exemple de nouvelle initiative est le « Seed Saver Network » (Réseau des préserveurs de semences), consacré à la biodiversité alimentaire traditionnelle. Cette initiative émergea juste à temps, au moment où de nombreuses variétés allaient disparaître. Elles avaient été préservées par des anciens, chefs ou médiums en relation avec les esprits, et par certaines familles, qui avaient été jusqu’à emporter avec elles des variétés lorsqu’elles furent forcées de quitter leurs terres, et qu’elles avaient continué à disséminer au cours du temps. Le réseau organise des « Foires aux semences » annuelles, au cours desquelles les paysans peuvent exposer leurs variétés et la diversité qu’ils ont réussi à entretenir, dans le cadre d’une compétition pour le prix de meilleur paysan. Ils ont appris comment sélectionner et stocker leurs propres semences, assistés en cela par les prestataires de service (NULC) et en suivant les traditions ancestrales de sélection, de nettoyage et de stockage. Le succès de cette initiative est visible dans l’augmentation du nombre des variétés exposées dans chacune de ces foires successives, de 12 en 1998 à 160 en 2006. Cela s’est traduit par un élargissement de la gamme nutritionnelle de la communauté, d’autres cultures de base que le maïs ayant été introduites (manioc et ignames), et différents légumes, fruits, noix et champignons ayant été remis en culture. Cela bénéficie également à la productivité des champs, dès lors que la rotation des cultures devient plus efficiente, pour le plus grand bénéfice de l’agriculture de montagne locale.

Construire une voix forte pour les petits paysans

Les petits paysans doivent être renforcés et reconnus par le gouvernement. Leur voix, leurs cultures, leurs modes de vie doivent être entendus et appréciés. L’Association des petits paysans de Ruzivo, dans la vallée de Nyadohe, est membre fondateur de la Fédération des petits paysans d’Afrique de l’Est et du Sud (East and Southern Africa Smallholder Farmer Federation, ESAFF) au Zimbabwe. Dans ce cadre, ils commencent à être reconnus et entendus aux niveaux local, régional, national et international.

Au niveau régional, les petits paysans des hauts-plateaux de Chimanimani commencent à revendiquer leurs territoires traditionnels (actuellement occupés par des entreprises de foresterie para-étatiques), avec l’assistance de structures telles que le NULC, qui leur dispense des conseils juridiques. La terre continue aujourd’hui encore à être, dans cette région, une question controversée, puisque les gens des montagnes se voient allouer seulement 2,5 hectares, ce qui ne suffit pas à de grandes familles.

Au niveau international, ESAFF Zimbabwe a été accepté comme branche de la Via Campesina au Zimbabwe, ce qui permettra à ces petits paysans de faire entendre leur voix dans les forums internationaux.

Fonti :

D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html