La sécurité alimentaire des paysans a été le point de départ, en 1982, de l’organisation paysanne de Bissi Mafou (Tchad)

Pierre PAZIMI, Benoît Lecomte, novembre 2001

Pierre Maney Pazimi, agronome et membre de l’Organisation Paysanne (OP) de Bissi Mafou, explique ceci :

« Ce qui a fait ma chance, c’est que je n’étais pas salarié. Je revenais à la fin de mes études universitaires, et je suis revenu au village, sans aucune chance de me faire embaucher. Je me suis dit : « C’est une occasion unique de faire profiter à tous de ma formation (je suis ingénieur agronome)", et aussi : « Tiens, je vais essayer de réfléchir avec les paysans ». La première difficulté que j’ai rencontrée, c’est que les gens ne voulaient pas m’accepter, parce ce qu’ils pensaient que moi j’avais mes études et alors comment j’accepterais de rester au village ? Et moi j’ai dit que non ! que je ne voulais pas aller en ville, je voulais rester au village, et personne ne voulait me croire. Mais à la fin de la deuxième année, les gens commençaient vraiment à croire que je voulais rester au village, j’avais mes champs, j’avais tout ce que je pouvais faire.

Petit à petit, la question qui a préoccupé les gens autour de moi c’était la sécurité alimentaire. Les gens produisaient beaucoup, ils n’arrivaient pas à vendre, et une année après les mêmes étaient en situation déficitaire et ils n’arrivaient pas à s’en procurer ; donc excédentaire ou déficitaire était pour les gens le même problème. Quand ils en avaient trop, ils ne savaient pas où les vendre, quand ils n’en avaient pas, ils ne savaient pas où en trouver. Alors, nous avons réfléchi : qu’est-ce que les gens peuvent faire, quand ils ont trop ou pas assez de céréales ? » Les gens ont d’abord trouvé la solution pour résoudre le problème de manque de céréales ; ils se sont dits : « Essayons de produire plus ». Ce qui crée un nouveau problème, car alors on a, mais que faut-il en faire ? Les gens ont alors créé un unique marché de céréales regroupant plusieurs villages formant " 6 zones « . Au niveau de chacune de ces " six zones « , les paysans fixaient les prix. . Cela suppose une grande concertation car il faut que tous les paysans acceptent cela.

Les commerçants étaient bloqués : s’ils voulaient venir acheter du mil dans la région couverte par l’OP, ils étaient confrontés à cette difficulté créée par la force des paysans : « Partout ici le kilo de céréales coûte tant ». Et les gens ont donc été obligés de se conformer à ce prix fixé par les paysans D’abord les commerçants n’étaient pas contents et disaient : « On n’achète pas !", mais ils ont fini par céder parce que tout le monde étant d’accord avec ce principe qui s’est trouvé être intéressant pour tout le monde.

L’Organisation Paysanne de Bissi a essayé d’avoir des relations avec d’autres zones du Mayo Kébi, notre département, des zones qui sont très souvent en situation déficitaire pendant plusieurs années de suite. Les paysans de l’OP de Bissi, quand ils ont mis en place un système de production qui crée une situation excédentaire, ont trouvé là un débouché : deux ou trois zones du Mayo Kébi viennent régulièrement acheter des céréales ici. Et de temps en temps, les gens de là-bas venaient demander des conseils : « Comment faites vous pour produire davantage ? » Et on discute ; on met comme sur une balance les deux cultures : le coton et les céréales. Dans ces régions déficitaires, il y a souvent plus de coton que de céréales et les gens ont de l’argent et nous on a beaucoup plus de céréales, donc le compte était fait ! Mais les années où il y a moins de céréales ici, d’une manière générale, les gens ont tendance à vendre moins. Alors eux là-bas ont souvent des difficultés parce que si les gens de Bissi ne vendent pas beaucoup, ils ne pouvaient pas avoir de céréales. Ainsi, de plus en plus, les gens ont commencé à réfléchir vraiment en profondeur par rapport à la production agricole. Ils ont imaginé la chose suivante ; ils ont dit : « Pour aider les gens à améliorer leurs conditions de vie, il faut deux choses, la production et la gestion ». Au niveau de chaque famille, il y a un calcul fait de manière très précise chaque année. Chacune fixe telle consommation (les gens, ils savent ça) et même quand la production de céréales est déficitaire chaque famille est capable de dire quelle quantité de céréales elle doit garder pour toute l’année. Il y a souvent du surplus. Quand les gens n’arrivent pas à vendre le surplus de céréales, une autre réflexion se met en place. Les gens cherchent et disent : « Bon ! on va essayer de récupérer la valeur du surplus par l’engraissement des animaux ». Ce sont les femmes qui arrivent à nourrir, à engraisser les animaux. Les cochons, les boeufs elles vont les vendre sur le marché et récupèrent la valeur des céréales.

C’est un système qui marche bien, si bien que la production et parfois la surproduction qui étaient considérées comme problèmes, sont devenues plus facile à gérer. Si bien qu’après quelques années, le manque de céréales qui était un problème a été résolu et la surproduction également. Au fil du temps les paysans arrivent à acquérir des expériences qui deviennent de plus en plus intéressantes. Et ce n’est pas fini ».

Commentaire

Un exemple d’une action collective mûrement réfléchie qui a permis à une Union d’Organisations Paysannes de mettre ne place un marché local puis départemental des céréales. Une action organisée à partir de la réflexion des paysans, d’abord entre eux, ensuite avec leurs voisins. Une action qui touche chaque famille.

Fonti :

D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html