Alter-Conso : quand une coopérative esquisse l’économie et les emplois de demain.

Sophie Chapelle, marzo 2013

Resumen :

C’est une coopérative née dans la banlieue lyonnaise : Alter-Conso fournit une alimentation de qualité à plus de 700 familles tout en ayant créé huit emplois et en permettant aux agriculteurs locaux de vivre de leur travail. Un véritable laboratoire de l’entreprise et de l’économie de demain, basé sur les circuits courts, et compatible avec les défis écologiques et sociaux. Qui se développe sans le soutien et dans l’indifférence des pouvoirs publics… Reportage réalisé par Basta !

Alter-Conso se lance en 2006. A l’époque, ils sont plusieurs producteurs et consommateurs à vouloir dépasser les contraintes des traditionnelles Amap (Association de maintien pour une agriculture paysanne), où la logistique, comme la répartition et la distribution des paniers, sont assurées par des bénévoles. « Avec l’appui de producteurs, nous avons fait le choix de rémunérer progressivement ces emplois », explique Thomas. Sept ans plus tard, la coopérative compte 46 producteurs, environ 740 adhérents consommateurs et distribue des paniers de produits agricoles locaux, chaque semaine, dans 14 quartiers de Lyon et de ses environs. Huit salariés employés à temps partiel assurent le travail de mise en relation entre l’ensemble des adhérents et des producteurs.

Rien à envier aux supermarchés

Les coopérateurs d’Alter-Conso sont parvenus à professionnaliser la structure tout en garantissant des emplois pérennes. Au point de concurrencer les grandes surfaces ? L’idée peut faire sourire, mais Alter-Conso réalise un chiffre d’affaires de 104 000 euros par salariés [1] contre 250 000 euros en moyenne dans la grande distribution (selon des données publiées par l’INSEE). La coopérative est donc en capacité de créer deux fois plus d’emplois que les systèmes classiques de distribution alimentaire. Grâce à son fonctionnement plus artisanal et des charges plus faibles, notamment en immobilisations de capital. Surtout, différence essentielle avec la grande distribution où le travail est souvent répétitif et parfois pénible, la coopérative assure créer des « emplois de qualité ».

« Le temps partiel est un choix volontaire », tient à souligner Sam, salarié depuis quatre ans. « Avant de travailler ici, je faisais 35h dans la photocomposition. En rejoignant Alter-Conso, je déconstruis ce j’ai pu apprendre par rapport au travail classique où l’on n’est pas du tout acteur. Là, je contribue à l’avenir d’une agriculture paysanne de qualité, tout en ayant du temps pour faire d’autres choses. » Les contrats étaient de 24h par semaine, rémunérés 1,4 fois le SMIC. Récemment, pour compenser une partie du travail réalisé bénévolement (comme les temps de réunions et de discussions stratégiques), les contrats sont passés à 30h. Mais le taux horaire a été revu à la baisse. De quoi générer quelques frustrations malgré la volonté de retrouver des marges de manœuvres financières.

« Un autre rapport au salariat »

« C’est un métier très varié où il faut à la fois beaucoup de relationnel, savoir animer des réunions, savoir utiliser plusieurs logiciels informatiques, et faire beaucoup de manutention », confie Evelyne. Une véritable « polycompétence » ! Pour améliorer la rotation des tâches, une organisation en cinq pôles a été mise sur pied depuis 2011. Chacun tourne tous les six mois. Deux salariés peuvent ainsi être en charge du suivi de la comptabilité et de la gestion de janvier à juin, puis s’occuper de la communication et de l’animation de juillet à décembre. « C’est essentiel qu’il y ait une polyvalence entre nous, assure Sam. C’est ce qui a permis par exemple à l’un des salariés de prendre une année sabbatique. On crée un autre rapport au salariat ». Sans l’appui d’aucune subvention publique ni de contrat aidé.

Alter-Conso a obtenu le statut de « Société coopérative d’intérêt collectif » (Scic) en 2008. Son conseil d’administration est composé de quatre collèges : les consommateurs, les salariés, les producteurs et les sympathisants. Les trois premiers collèges disposent respectivement de 30 % des parts sociales, et les sympathisants de 10 %. « La SCIC est un modèle où les décisions et les pouvoirs sont discutés, partagés, et où chacun doit donner son avis sur le principe d’une personne égal une voix », rappelle Sam. Les conseils de coopération, des ateliers de réflexion, des groupes de travail thématiques, qui réunissent des producteurs, consommateurs et salariés, rythment la vie de la coopérative. Ils permettent de débattre et de trancher les grandes décisions. Et de partager au mieux les responsabilités.

Des prix décidés collectivement

Les prix sont également fixés collectivement, lors de réunions de filières, deux fois par an. Les consommateurs peuvent participer à ces réunions et exprimer leurs positions quant au fonctionnement, à la qualité des produits, ou aux améliorations à apporter. « Mais nous manquons de temps pour bien expliquer le coût de production de nos produits », confie Guillaume Gontel, maraîcher biologique. Selon les formules, les prix des paniers varient de 7 à 16 euros [2]. L’ensemble des consommateurs paient le produit à sa valeur réelle et l’argent est entièrement reversé au producteur.

Du coup, quelles sont les ressources de la coopérative ? Les services proposés par la coopérative sont facturés en fonction de la situation financière des adhérents – consommateurs comme producteurs – via les frais de fonctionnement (salaires, loyers, transports…) [3]. Ces frais sont payés pour moitié par les adhérents selon leur revenu, et pour moitié par les producteurs selon leur chiffre d’affaires. Le taux de participation est discuté entre les acteurs de la Scic. Ainsi, les personnes au RSA ou au minimum vieillesse ne paient pas davantage que les paniers qu’ils achètent.

Soutenir la conversion en agriculture biologique

Pour la coopérative, il est important de faire évoluer simultanément les pratiques et les modes de consommation afin d’avoir une action cohérente. « Pour un producteur, disposer d’une visibilité sur plusieurs mois côté trésorerie peut contribuer au déclic pour passer en bio relève Sam. Mais on reste évidemment attentif à d’autres critères comme la taille humaine de l’exploitation. » Les coopérateurs ont voté en assemblée générale le fait que l’ensemble des producteurs qui entraient dans la coopérative devaient s’engager dans une démarche d’agriculture biologique. Au démarrage de l’activité, un seul maraîcher pratiquait une agriculture répondant au cahier des charges de l’agriculture biologique. Aujourd’hui ils sont quatre sur six à s’y être convertis.

Les membres d’Alter-Conso sont bien conscients de la difficulté de passer en bio selon les filières. « Pour les fruits, c’est très long, souligne Guillaume Gontel. Il faut parfois recréer un nouveau verger, recourir à d’autres variétés. J’étais contre le fait d’imposer le bio tout de suite, mais il faut reconnaître que progressivement on y arrive ». Ce maraîcher commercialise ses légumes via des systèmes de paniers depuis les années 90, mais reconnait une capacité de diffusion plus large via le réseau d’Alter-Conso. « Nous sommes libérés de la gestion des paniers tout en ayant une sécurité sur nos ventes. On gagne en économie d’échelle au niveau des transports car les volumes fournis sont plus conséquents qu’avec les Amap. ». Le partage des risques avec les adhérents et la garantie de revenus fixes et « équitables » contribuent à rapprocher paysans et salariés.

Fruits et légumes compétitifs

Ce mercredi-là, c’est Clément, salarié d’Alter-Conso, qui assure la distribution à l’espace associatif de Vaulx-en-Velin. Il est accompagné par Claude, producteur de fruits rouges. Comme à chaque distribution, un producteur est présent sur place. « Selon les lieux on distribue de 25 à 75 paniers. Chez les consommateurs, il y a encore une certaine crainte de s’engager sur les paniers. C’est vu comme une contrainte alors que ce n’est pas très chers compte-tenu de la qualité », confie Claude. « Personnellement, j’ai fait les comptes, et c’est très compétitif avec les grandes surfaces souligne Chantal, adhérente depuis le lancement de l’initiative. Et puis c’est extrêmement sympathique, j’ai l’impression d’être en famille. »

Le soutien à la création d’emplois est déterminant pour Claudine. « Quand l’espace associatif a relayé leur projet, j’ai immédiatement adhéré car je voulais les aider à travailler. Maintenant, je ne pourrais plus m’en passer. Je ressens vraiment le goût des légumes et de la bonne viande, ça me rappelle mon enfance ! », lâche-t-elle. L’abonnement à Alter-Conso dure six mois et permet à une famille d’y voir plus clair dans son budget alimentaire. Claudine et Emmanuel arrivent, accompagnés de leurs enfants. « On cherchait une solution pour avoir des produits de confiance, naturels, avec un contrat avec les producteurs », explique Emmanuel. « Le fait de ne pas savoir à l’avance ce que je vais manger me permet d’innover », ajoute Claudine, ravie. L’affaire de la viande de cheval a conforté nombre d’entre eux dans la volonté de poursuivre leur abonnement.

Travail d’éducation populaire

Centres sociaux, MJC, espaces associatifs… Les lieux de distribution ne sont pas uniquement des aires d’accueil pour Alter-Conso qui leur a proposé de rejoindre le collège « sympathisants ». L’enjeu : insuffler une dynamique commune et prendre une part active dans les orientations futures de la coopérative. « Dans le cadre des centres sociaux, nous aidons aussi à la création d’emplois. A titre personnel, j’étais déjà sensibilisé aux circuits courts, et leur distribution hebdomadaire contribue vraiment à l’animation de vie de quartier », témoigne Jean-Paul Vilain, directeur du centre social de Gerland.

Le directeur du centre social aimerait aller plus loin dans la démarche. « Alter-Conso a déjà été partenaire de notre carnaval en assurant les goûters pour les enfants et la vente de bières locales à la buvette. Mais on pourrait imaginer que les cours de cuisine que l’on dispense une fois par semaine s’inspirent davantage des recettes données par Alter-Conso ». Une idée qui plaît au maraîcher Guillaume Gontel : « Les consommateurs ont toujours tendance à complexifier la préparation des légumes alors que ce sont des produits très simples à cuisiner ». L’idée d’un atelier cuisine les rend enthousiaste. Reste la question du temps et des financements. « Aucune mairie n’a pour le moment accepté de nous financer dans cette démarche », déplore Sam. Les collectivités locales qui partagent les valeurs d’Alter-Conso ont la possibilité d’entrer au collège des sympathisants. Sans succès pour le moment…

Essaimer au lieu de monopoliser

C’est donc sans aucun financement public qu’Alter-Conso a rapidement grandi. « Après les premières années de lancement s’est posée la question de la forte demande à satisfaire », relate Sam. L’idée d’augmenter le nombre de salariés pour réaliser plus de ventes et pousser les producteurs à devenir intensifs, ne correspondait pas au sens du projet. Les coopérateurs ont alors fait le choix de fixer un seuil de 800 consommateurs à ne pas dépasser. « La solution est de se lancer dans l’essaimage de structures identiques à la nôtre pour promouvoir un système économique qui correspond à nos valeurs », ajoute Sam.

Deux structures sont nées de ce processus, Croc’Ethic et l’Arbralégumes, qui partagent aujourd’hui l’entrepôt d’Alter-Conso et qui, elles-aussi, créent des emplois. « Ce type de projets est essentiel pour dynamiser une coopérative comme Alter-Conso. Si l’on veut continuer à changer le monde, nous avons besoin d’un développement politique », confie Sam. Si tout le monde pouvait s’en inspirer…

 

 

Pour aller plus loin : le site d’Alter-Conso

Crédits photos : Alter-Conso / Centre social de Gerland

Fuentes :

basta.media/Alter-Conso-quand-une-cooperative