A prosperous way down: Principles and Policies

Sito de la casa editrice

Howard T. Odum, Elisabeth Odum, University Press of Colorado, United Sates, 2008

Howard T. Odum (1924-2002) fait partie de ces auteurs qui, dès les années 1970 et avec une remarquable constance, se sont inquiétés de la périlleuse trajectoire prise par le développement de l’humanité, et de ses angoissantes conséquences environnementales1. Il reste pourtant méconnu en France, où il est souvent l’un des oubliés dans les listes des « précurseurs » de l’écologie politique. L’essai A Prosperous Way Down, co-écrit avec sa femme Elisabeth C. Odum et initialement publié en 2001, nous apprend comment sa pensée avait évolué à la veille de sa disparition et à mesure que l’urgence écologique se faisait plus pressante.

2 S. Latouche, 2006, Le Pari de la décroissance, Fayard.

2La théorie développée par les deux auteurs peut se résumer ainsi : après une période de croissance exponentielle, l’humanité se trouve maintenant à son apogée, mais cette apogée ne sera qu’une courte transition, à laquelle succèdera immanquablement une grande phase de « descente ». Mais, et c’est là la deuxième idée-phare de ce livre, l’humanité peut prendre les mesures nécessaires pour que cette descente soit une descente prospère – prosperous way down –, une notion qui, par certains aspects (mais par certains seulement), rappelle celle de « décroissance conviviale »2. Pour développer ces deux idées, les auteurs ont organisé ce livre en trois grandes parties.

3La première présente le grand retournement à venir dans l’histoire de l’humanité : « le sommet de la civilisation est tout proche, et nous devons donc tous nous demander comment cela affectera nos vies, et quelles mesures nous devrions prendre en fonction de cela » (p. 1). Selon les auteurs, c’est l’épuisement des ressources naturelles qui rend ce déclin inéluctable : « la cause de la descente à venir, c’est que les ressources de la Terre diminuent » (p. 3). Et c’est surtout l’épuisement définitif des sources d’énergie fossiles, qui seules ont permis la croissance exponentielle de la civilisation humaine, qui rendra ce déclin brutal et inéluctable.

4La deuxième partie mobilise la science des systèmes, ou systémique, spécialité des Odum, pour expliquer en quoi ce déclin est inéluctable. Selon les auteurs, tous les systèmes tendent à évoluer par pulsations composées de quatre phases : (1) une phase de croissance exponentielle très consommatrice de ressources, y compris fossiles ; (2) une courte phase d’apogée et de transition ; (3) une phase de déclin ou de descente plus ou moins rapide ; et (4) une longue période de « stabilité basse » pendant laquelle les ressources se reconstituent. Ce cycle est observable dans les écosystèmes : par exemple, les incendies de forêts sont des phases d’effondrement qui permettent au sol de se reconstituer par endroits (p. 85-86). La thèse des auteurs est que ce « déterminisme scientifique » (p. 6) peut aussi s’appliquer aux sociétés humaines, puisqu’elles aussi sont des systèmes : ainsi l’effondrement de la civilisation Maya (p. 80) ou la grande famine irlandaise (p. 87) seraient logiques dans une analyse des cycles systémiques des sociétés humaines sur le long terme. Mais cette fois, l’épuisement définitif des ressources fossiles devrait provoquer un déclin global et durable de l’humanité entière.

5La troisième partie de l’essai propose donc quelques pistes pour encadrer politiquement la transition actuelle et la décroissance à venir de l’humanité – car ce sont les politiques que nous mènerons qui pourraient « faire la différence entre un atterrissage en douceur et un crash » (p. 131). C’est ici que le déterminisme systémique des Odum accorde une légère marge de manœuvre à la politique, car selon eux, il est encore temps de nous préparer pour que cette décroissance soit pacifique, et même prospère. Mais pour cela, nous devons impérativement comprendre que les politiques qui ont fonctionné dans une période de croissance ne fonctionneront plus dans les périodes de transition et de descente, et qu’il faut donc en inventer d’autres, radicalement nouvelles : un nouveau programme politique pour encadrer dès aujourd’hui la transition actuelle, et encore un autre très bientôt pour encadrer la descente qui se profile à court terme. Il est donc proposé, entre autres, de revenir à une « nouvelle économie agraire » (p. 170), de réduire drastiquement le nombre de voitures (p. 175), de rétablir des barrières douanières (p. 178), de limiter les naissances pour progressivement réduire la population mondiale (p. 182), de favoriser les entreprises à but non-lucratif (p. 187), d’instaurer un revenu maximum (p. 187), de réduire les salaires (p. 200), etc.

6À la lecture de ces propositions, la mise en garde du premier chapitre prend tout son sens : « Ne vous trompez pas, il ne s’agit pas ici de proposer moins de croissance. Il s’agit de reconnaître que les principes généraux de la systémique, appliqués à l’énergie, aux matériaux et à l’information, sont à l’œuvre et font basculer l’humanité dans une nouvelle étape d’un cycle à long-terme » (p. 4). Ces mesures seront-elles acceptables ? Les Odum envisagent brièvement que nos sociétés puissent s’entêter à chercher la croissance en période de descente, et que cela aboutisse à un effondrement apocalyptique (p. 205). Mais ils semblent plutôt croire qu’à force d’éducation et de confrontation à la réalité, nos sociétés finiront bien par accepter, et même par apprécier, la contraction de l’économie : « Pour la transition et la descente, de nouvelles valeurs individuelles et de nouvelles conceptions du progrès devraient émerger. L’idée du monde de l’expansion industrielle, selon laquelle « la croissance, c’est le progrès » est déjà en train d’être remplacée par l’idée que « la soutenabilité, c’est bien » dans un monde qui déjà ne connaît plus beaucoup de croissance. Bientôt, quand les gens apprendront à vivre avec la descente, leur idéal sera « moins, c’est mieux » » (p. 269). C’est sans doute ici que le déterminisme scientifique des Odum atteint ses limites, quand les idéaux des générations futures sont supposés évoluer quasi-mécaniquement en fonction des ressources disponibles, alors que l’évolution des imaginaires collectifs mériterait sans doute une analyse plus complexe.

3 N. Georgescu-Roegen, 2006, La Décroissance : entropie-écologie-économie, Sang de la Terre.

4 R. Heinberg, 2007, Powerdown: Options and Actions for a Post-Carbon Society, Clairview Books.

5 Y. Cochet, 2005, Pétrole Apocalypse, Fayard.

7La thèse des Odum, selon laquelle l’épuisement des ressources fossiles serait quasiment le seul élément déterminant dans le déclin à venir de l’humanité, est sans doute audacieuse – ne serait-ce que parce que d’autres événements catastrophiques pourraient advenir avant cet épuisement : effondrement de biodiversité, réchauffement climatique, etc. Elle pose néanmoins une question fondamentale : quelles sont les catastrophes avec lesquelles nous ne pourrons absolument pas négocier dans un avenir plus ou moins proche ? Des auteurs comme Nicholas Georgescu-Roegen3, Richard Heinberg4 ou Yves Cochet5 voient en la décroissance un destin plutôt qu’un projet politique. (Ces mêmes auteurs proposent tous, en revanche, des formes de décroissance « conviviale », qui seraient des projets politiques à mettre en œuvre dans le contexte de ce destin.) Le développement durable, s’il vise à faire émerger des compromis entre les impératifs économiques, sociaux et environnementaux, peut-il vraiment considérer des hypothèses aussi radicales, sinon comme des certitudes, au moins comme des hypothèses à étudier sérieusement ?

6 S. Latouche, ibid.

8Apparemment, les Odum répondraient à cette question par la négative : sauf erreur de lecture de notre part, l’expression « développement durable » n’est pas utilisée une seule fois dans cet ouvrage. Cette absence rapproche les Odum des objecteurs de croissance français6, qui reprochent au développement durable son caractère trop consensuel : vu la difficulté des dispositifs politiques traditionnels à intégrer des hypothèses radicales comme l’urgence immédiate ou les éléments non-négociables, il n’est pas étonnant que des théories fortement comparables, comme la décroissance et la « prosperous way down », finissent par émerger en marge de ces dispositifs.

Luc Semal, « Howard T. Odum et Elisabeth C. Odum, 2008, A Prosperous Way Down: Principles and Policies, University Press of Colorado, (2001 pour la 1ère edition), 348 p. », Développement durable et territoires [En ligne], Lectures, Publications de 2008, mis en ligne le 28 janvier 2009, consulté le 03 avril 2012. URL : developpementdurable.revues.org/7953