Basculement: comment éviter l’effondrement économique et environnemental

Préface de Claude Alphandéry

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Lester Brown, coédition Rue de l’échiquier/Souffle court éditions, 2011

Lester R. Brown dresse le tableau sans concession de la situation environnementale mondiale : effondrement des ressources en eau, érosion des sols, réchauffement climatique, etc. Il en analyse ensuite les conséquences dramatiques si rien n’était fait pour changer la donne : pénuries alimentaires, réfugiés climatiques, états défaillants, etc. Lester R. Brown nous amène à comprendre que seule une réflexion globale et transdisciplinaire nous permettra de prendre les décisions qui s’imposent aujourd’hui. Dans la dernière partie de son ouvrage, il développe ainsi les quatre mesures qu’il préconise : une réduction radicale des émissions de CO2, la stabilisation de la population mondiale, la réduction drastique de la pauvreté et la restauration des écosystèmes. La question étant : pouvons-nous encore prendre ces décisions avant de basculer dans l’irréparable ?

Extrait : la préface de Claude Alphandéry

Né en 1922, Claude Alphandéry est le président d’honneur de France Active, premier réseau de finance solidaire en France. Résistant à 18 ans, militant communiste puis directeur de banque, il est devenu le porte-flambeau de l’économie sociale et solidaire – cette autre économie qui fait passer les hommes, l’environnement et les territoires avant le profit.

Ecrit en 2007 par Lester Brown et préfacé par Nicolas Hulot, Le Plan B nous avait alertés sur les menaces effarantes pesant sur notre environnement et sur la civilisation. Il traçait aussi les chemins possibles pour éviter l’effondrement, et nous indiquait les efforts à produire pour nous conduire sur ces chemins.

Quatre ans plus tard, les menaces se sont accrues et encore précisées. Elles se fondent sur une série d’événements dont la gravité frappe d’autant plus l’opinion, qu’ils sont visualisés à travers le monde à l’instant même où ils se produisent : inondations, accidents nucléaires, vagues de chaleur, famines, violences ethniques et sociales, répressions sanglantes montrent les sursauts et la fragilité de la nature qui sont considérablement amplifiés par une activité humaine en proie à la démesure. Ces événements confèrent un caractère anxiogène au monde d’aujourd’hui.

Qu’il s’agisse de l’épuisement des nappes phréatiques, de l’érosion des sols, de l’instabilité climatique, Lester Brown met en lumière l’évolution vertigineuse de risques accumulés pouvant aller jusqu’à la rupture et portant dès à présent des effets dévastateurs : pénuries alimentaires, migrations massives de populations fuyant la misère, désagrégation de certains États, diffusion de la violence, crise générale de nos civilisations. Mais cette crise peut être aussi régénératrice ; là où est le pire, le meilleur peut se développer. Et Lester Brown renforce à cette fin les propositions du Plan B : réorienter les ressources énergétiques, donner une plus grande efficience à leur usage, restaurer notre environnement naturel par une gestion maîtrisée des sols, des forêts, de la mer, de la culture. Il ne sépare pas ces exigences écologiques d’objectifs économiques et sociaux très ambitieux : stabiliser la population, éradiquer la faim, la misère, l’illettrisme, sauver notre civilisation.

Lester Brown insiste sur le lien étroit entre ces objectifs mutuellement dépendants. Il est improbable, dit-il, que l’on puisse atteindre un but sans atteindre les autres. Et il ajoute que l’on ne peut pas y parvenir sans une appréciation exacte de la vérité globale des prix, c’est-à-dire sans incorporer dans ceux-ci les coûts écologiques et sociaux, les désordres induits ou évités par notre activité. Ce n’est malheureusement pas le cas : « Nous sommes, dit-il, aveugles en raison d’un système comptable inadapté aux enjeux et qui conduit à la banqueroute ». La force de conviction de Lester Brown est telle, l’urgence de ses propositions si évidente que l’on est stupéfait devant les hésitations, les retours en arrière d’États qui sont sous la pression d’intérêts financiers. Il rappelle a contrario la rapidité des réactions du Président Roosevelt au lendemain du désastre de Pearl Harbor en 1941 : en quelques mois, l’économie subit une réorientation totale. Les géants de l’automobile Ford et General Motors ne sortent plus une seule voiture civile ; ce qui a été réussi pour la guerre, ces transferts massifs de financement qui ont modifié brutalement les objectifs de production et le comportement des consommateurs, ne peuvent-ils être réalisés pour sortir de la crise, éviter le saut dans le gouffre, réorienter l’économie vers la restauration de la nature et la sauvegarde sociale ?

Les chiffres précis avancés par Lester Brown montrent que de tels transferts, aussi radicaux soient-ils, sont réalisables : 75 milliards de dollars par an pour l’ensemble des objectifs sociaux de base (éducation, santé, enfance, condition des femmes…) et 110 milliards de dollars pour la restauration de l’environnement naturel (eau, sols, forêts, milieu maritime, diversité des espèces…) ; chiffres qui doivent être comparés au budget militaire des seuls États-Unis (661 milliards) et du monde (1 522 milliards). Au-delà même de ces dépenses militaires, on pourrait ajouter celles relatives au marketing, à la publicité, au luxe dont une réduction de 10 % permettrait de couvrir les besoins écologiques et sociaux fondamentaux.

Malheureusement, les dirigeants actuels ne songent pas à renverser ou même à réduire cet écart. Ils ne visent qu’à accroître les profits immédiats, quel qu’en soit le prix écologique et social. Éviter le déclin, la chute de la civilisation, c’est à l’inverse réorienter l’économie vers d’autres modes d’organisation et de gouvernance, c’est la restructurer vers d’autres formes de production et de consommation. C’est en cela que les initiatives de l’Économie sociale et solidaire rejoignent, voire prolongent le livre de Lester Brown. Elles ne sont pas soumises aux impératifs de profit du capital financier. Elles reposent sur une éthique, sur une gestion démocratique de leur activité. Elles répondent aux besoins pressants – individuels et collectifs – non satisfaits faute de rentabilité suffisante et immédiate, dans un double souci de respect de la nature et d’accessibilité de tous aux services et aux biens qu’elle produit. Ces initiatives sont de plus en plus nombreuses, significatives et appréciées pour leurs effets régulateurs et réparateurs d’une économie déséquilibrée.

Mais elles restent ponctuelles et marginales ; l’opinion ne reconnaît pas encore leur rôle transformateur, leur capacité de réorienter l’économie. C’est en faisant le lien entre la démonstration de Lester Brown et les outils de l’Économie sociale et solidaire – qui préfigurent, amorcent les restructurations souhaitées – que l’engagement des citoyens prendra corps. Ce mouvement se transformera en volonté politique de rejeter les situations et les risques que font courir les ambitions démesurées du capital financier. La nature et l’urgence de ces risques, mis en évidence par Lester Brown, nous permettent non seulement de les conjurer mais d’ouvrir de nouveaux espaces de progrès. Elles contribuent à mobiliser nos énergies, à donner force à nos pratiques démocratiques, à élargir le champ d’une économie solidaire de l’humain et de la nature.

Claude Alphandéry, août 2011. (de cdurable.info)